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La sangre verde de la tiera

La sangre verde de la tiera

Cinco variaciones de una fotografía - Tokio: Parque Ueno - Julio de 2015 - Color

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

"Fukushima mi amor". Si ésta foto representa un paisaje de Tokio, no podía cesar de pensar en estos eventos traumáticos que impactaron al Japón en 1945 y en 2011.

 

 

« LUI

 Tu n'as rien vu à Hiroshima. Rien.

 

ELLE
J’ai tout vu. Tout.
Ainsi l’hôpital, je l’ai vu. J’en suis sûre. L’hôpital existe à Hiroshima. Comment aurais-je pu éviter de le voir ?

 

LUI

Tu n’as pas vu d’hôpital à Hiroshima. Tu n’as rien vu à Hiroshima.

 

ELLE
Quatre fois au musée...

 

LUI
Quel musée à Hiroshima ?

 

ELLE

Quatre fois au musée à Hiroshima. J’ai vu les gens se promener. Les gens se promènent, pensifs, à travers les photographies, les reconstitutions, faute d’autre chose, à travers les photographies, les photographies, les reconstitutions, faute d’autre chose, les explications, faute d’autre chose.

Quatre fois au musée à Hiroshima.

J’ai regardé les gens. J’ai regardé moi-même pensivement, le fer. Le fer brûlé. Le fer brisé, le fer devenu vulnérable comme la chair. J’ai vu des capsules en bouquet : qui y aurait pensé ? Des peaux humaines flottantes, survivantes, encore dans la fraîcheur de leurs souffrances. Des pierres. Des pierres brûlées. Des pierres éclatées. Des chevelures anonymes que les femmes de Hiroshima retrouvaient tout entières tombées le matin, au réveil.

J’ai eu chaud place de la Paix. Dix mille degrés sur la place de la Paix. Je le sais. La température du soleil sur la place de la Paix. Comment l’ignorer ?... L’herbe, c’est bien simple...

 

LUI
Tu n’as rien vu à Hiroshima, rien.

 

ELLE

Les reconstitutions ont été faites le plus sérieusement possible.

Les films ont été faits le plus sérieusement possible.

L’illusion, c’est bien simple, est tellement parfaite que les touristes pleurent.

On peut toujours se moquer mais que peut faire d’autre un touriste que, justement, pleurer ?

J’ai toujours pleuré sur le sort de Hiroshima. Toujours.

 

LUI

Non.
Sur quoi aurais-tu pleuré ?

 

ELLE
J’ai vu les actualités.
Le deuxième jour, dit l’Histoire, je ne l’ai pas inventé, dès le deuxième jour, des espèces animales précises ont resurgi des profondeurs de la terre et des cendres.

Des chiens ont été photographiés. Pour toujours.
Je les ai vus.
J’ai vu les actualités.

Je les ai vues.
Du premier jour. Du deuxième jour. Du troisième jour...

 

LUI
Tu n’as rien vu. Rien.

 

ELLE
...du quinzième jour aussi. Hiroshima se recouvrit de fleurs. Ce n’étaient partout que bleuets et glaïeuls, et volubilis et belles-d’un-jour qui renaissaient des cendres avec une extraordinaire vigueur, inconnue jusque-là chez les fleurs.

Je n’ai rien inventé.

 

LUI
Tu as tout inventé.

 

ELLE
Rien.
De même que dans l’amour cette illusion existe,
cette illusion de pouvoir ne jamais oublier, de même j’ai eu l’illusion devant Hiroshima que jamais je n’oublierai.

De même que dans l’amour.

J’ai vu aussi les rescapés et ceux qui étaient dans les ventres des femmes de Hiroshima.

J’ai vu la patience, l’innocence, la douceur apparente avec lesquelles les survivants provisoires de Hiroshima s’accommodaient d’un sort tellement injuste que l’imagination d’habitude pourtant si féconde, devant eux, se ferme.

Écoute...
Je sais...
Je sais tout. Ça a continué.

 

LUI
Rien. Tu ne sais rien.

 

ELLE

Les femmes risquent d’accoucher d’enfants mal venus, de monstres, mais ça continue.

Les hommes risquent d’être frappés de stérilité, mais ça continue.

La pluie fait peur.

Des pluies de cendres sur les eaux du Pacifique.

Les eaux du Pacifique tuent.
Des pêcheurs du Pacifique sont morts.
La nourriture fait peur.
On jette la nourriture d’une ville entière.
On enterre la nourriture de villes entières.
Une ville entière se met en colère.
Des villes entières se mettent en colère. Contre qui, la colère des villes entières ?
La colère des villes entières qu’elles le veuillent
ou non, contre l’inégalité posée en principe par certains peuples contre d’autres peuples, contre l’inégalité posée en principe par certaines races contre d’autres races, contre l’inégalité posée en principe par certaines classes contre d’autres classes.

...Écoute-moi.
Comme toi, je connais l’oubli.

 

LUI
Non, tu ne connais pas l’oubli.

 

ELLE

Comme toi, je suis douée de mémoire. Je connais l’oubli.

 

LUI
Non, tu n’es pas douée de mémoire.

 

ELLE

Comme toi, moi aussi, j’ai essayé de lutter de toutes mes forces contre l’oubli. Comme toi, j’ai oublié. Comme toi, j’ai désiré avoir une inconsolable mémoire, une mémoire d’ombres et de pierre.

J’ai lutté pour mon compte, de toutes mes forces, chaque jour, contre l’horreur de ne plus comprendre du tout le pourquoi de se souvenir. Comme toi, j’ai oublié...

Pourquoi nier l’évidente nécessité de la mémoire ?...

...Écoute-moi. Je sais encore. Ça recommencera. Deux cent mille morts. Quatre-vingt mille blessés. En neuf secondes. Ces chiffres sont officiels. Ça recommencera.
Il y aura dix mille degrés sur la terre. Dix mille
soleils, dira-t-on. L’asphalte brûlera.
Un désordre profond régnera. Une ville entière
sera soulevée de terre et retombera en cendres... Des végétations nouvelles surgissent des sables...
...Quatre étudiants attendent ensemble une
mort fraternelle et légendaire.
Les sept branches de l’estuaire en delta de la
rivière Ota se vident et se remplissent à l’heure habituelle, très précisément aux heures habituelles d’une eau fraîche et poissonneuse, grise ou bleue suivant l’heure et les saisons. Des gens ne regardent plus le long des berges boueuses la lente montée de la marée dans les sept branches de l’estuaire en delta de la rivière Ota. Je te rencontre.
Je me souviens de toi.
Qui es-tu ?
Tu me tues.
Tu me fais du bien.
Comment me serais-je doutée que cette ville
était faite à la taille de l’amour ?
Comment me serais-je doutée que tu étais fait à
la taille de mon corps même ?
Tu me plais. Quel événement. Tu me plais. Quelle lenteur tout à coup.
Quelle douceur.
Tu ne peux pas savoir.
Tu me tues.
Tu me fais du bien.
Tu me tues.
Tu me fais du bien.
J’ai le temps.
Je t’en prie.
Dévore-moi.
Déforme-moi jusqu’à la laideur.
Pourquoi pas toi ?
Pourquoi pas toi dans cette ville et dans cette
nuit pareille aux autres au point de s’y méprendre ? Je t’en prie...»

 

Marguerite Duras, Hiroshima mon amour